Jean-Louis Roumégas entremetteur du "bon sens paysan" et du "bon sens écologique"

Actu.fr - 30 juillet 2025
Cédric Nithard

Ayant vu la façade de sa permanence parlementaire redécorée par la Coordination Rurale 34, le député Jean-Louis Roumégas a organisé un débat avec trois agriculteurs.

Sur fond de loi Duplomb et de la pétition demandant son retrait ayant recueilli plus de deux millions de signatures, une question semble se creuser encore plus. Écologistes et agriculteurs peuvent-ils s’entendre ? C’est justement ce qu’a voulu démontrer le député Jean-Louis Roumégas, en organisant un débat avec des représentants de la Coordination Rurale 34 ce lundi 28 juillet au Club de la Presse à Montpellier. S’ils ne sont pas d’accord sur tout, chacun appelle à faire un geste vers l’autre pour la survie du monde agricole français. En attendant les prochaines déclarations de Sandrine Rousseau…

Des propos qui ne sont pas passés

Vendredi dernier, Jean-Louis Roumégas a eu la surprise de découvrir, par un coup de téléphone de la police, que la façade de sa permanence parlementaire avait été redécorée la veille par la Coordination Rurale 34 avec un peu ragoûtant mélange de fumier, d’oeufs, estomac de sanglier et autres raffinements. Une action contre laquelle il n’a pas souhaité porter plainte dû aux échanges qu’il a pu avoir par le passé avec ces mêmes agriculteurs et ceux d’autres organisations. « Je n’avais pas percuté, j’ai compris après que c’était suite aux propos de Sandrine Rousseau et qu’il y avait eu un mot d’ordre national de la CR de se rappeler au bon souvenir des députés écologistes » raconte en souriant le député qui n’excuse pas sa camarade : « Ce sont des propos qui n’engagent qu’elle. C’est un secret de Polichenelle que cela a fait grand débat au sein des écologistes. Même si, sûrement, elle ne visait pas les revenus des paysans en général et parlait de la rentabilité de l’agrobusiness, on comprend qu’à la façon dont elle l’a dit que cela ait pu choquer. En tout cas, c’était contre-productif par rapport au discours que veulent avoir les écologistes ».

Loin des débats internes chez les écologistes, dire que les propos de Sandrine Rousseau ont choqué est encore un euphémisme comme le confirme, Arnaud Poitrine, secrétaire général de la CR34, viticulteur à Cabrières sur une quinzaine d’hectares, éleveur d’une centaine de poules pondeuses avec également quelques activités de maraichage. « On ne peut pas entendre « J’en ai rien à péter du revenu des agriculteurs » quand un agriculteur se suicide tous les deux jours. On aimerait qu’elle s’excuse. On ne peut pas entendre cela quand on est pris à la gorge. Cela fait deux ans que je ne me tire plus de revenus et que je suis au RSA, d’entendre cela, cela me met hors de moi ». Christophe Sabatier, secrétaire général adjoint de la CR34, vigneron et éleveur de cochons, sous convention Nature et Progrès, à la tête du Domaine de Cassagnole à Assas qui accueille également d’autres agriculteurs pratiquant du maraîchage, de l’élevage de poules pondeuses, de l’apiculture et de la floriculture, complète : « Depuis deux ans, le nombre de terres agricoles en bio régresse. C’est bien qu’en face, il n’y a pas le consommateur. Donc par manque de revenus, certains reviennent à du conventionnel. Il faut aussi se poser les bonnes questions ».

Une chimie positive

Tout étant parti de la loi Duplomb, Arnaud Poitrine regrette que l’on se soit focalisé sur le retour de l’acétamipride, pesticide de la famille des néonicotinoïdes, « sur des cultures cibles et des personnes qui sont dans une impasse technique » précise-t-il, laissant de côté des éléments essentiels pour les agriculteurs comme l’accès à l’eau, la simplification administrative ou les assurances. En sortant de sa poche un diffuseur anti-insectes que l’on branche sur une prise électrique ou encore un produit utilisé sur les chats, les deux contenants des substances CMR, acronyme de cancérogènes, mutagènes, toxiques pour la reproduction plus explicite, dont des néonicotinoïdes. « On dit souvent que l’agriculteur est un pollueur avec des produits super toxiques, et c’est une bonne chose que l’on ait enlevé les pires, alors que les particuliers en ont plein leurs maisons. 200 produits ménagers en contiennent. On pourrait aussi avoir un débat là-dessus » souligne-t-il.

Arnaud Poitrine présente à Jean-Louis Roumégas des produits utilisés par les particuliers contenant des néonicotinoïdes. (©CN / Métropolitain)

Laurent Crouzet, co-président de la CR34, viticulteur en agriculture conventionnée, travaillant avec une cave coopérative, tente de nuancer. « Il y a eu une chimie négative mais il ne faut pas dire que la chimie ce n’est que du négatif. Si on ne croit pas en la science et en l’avenir… La chimie fait partie de notre vie, de notre quotidien… Tout comme les pesticides, qui est un mot employé à tort et à travers, tirer à boulet rouge tout le temps sur la chimie, c’est se tirer une balle dans le pied. J’aimerai que l’on fasse la différence avec une chimie positive qui travaille sur l’environnement, pour la protection des populations et de l’agriculteur ». Tout en regrettant : « Ce n’est pas nous qui produisons ces molécules. Si on pouvait s’en passer, on le ferait d’autant que cela nous coûte très cher. Si on soutient la réindroduction de l’acétamipride, c’est qu’elle est utilisée partout en Europe et on va détruire une filière française en important de chez nos voisines européens. Où est la logique ? ». Ce dernier fustige ainsi : « C’est là où on reproche aux écologistes d’avoir un faux discours et de manipuler un peu la peur pour attirer dans son camp ». Et ce en pointant la pétition signée par plus de 2 millions de personnes mise en avant par Jean-Louis Roumégas comme un argument face aux agriculteurs. « La loi n’est pas accessible dans son ensemble, les personne qui ont signé n’ont pas pu la lire » s’emportent les représentants de la CR34.

« ce n’est pas la dose qui fait le poison »

Un plaidoyer en faveur de « la chimie positive » qui passe difficilement auprès de Charles Morin. « J’ai signé la pétition, ma femme à signé la pétition, j’ai fait signer la pétition autour de moi et ce sont des gens avertis qui ont lu la loi, qui savent ce qu’il y a dedans et dont certains sont aussi scientifiques. Dire que les gens qui ont signé la pétition ne sont pas au courant, c’est prendre les gens pour des cons » tient-il à souligner. Présent dans la salle, cet ancien viticulteur de Lavérune, touché par une maladie neurologique reconnue comme maladie professionnelle, après avoir été exposé à l’arsenic et désormais dans un fauteuil roulant, alerte depuis une dizaine d’années les agriculteurs des dangers des produits phytosanitaires avec son association Phyto-victimes. « Je suis un amoureux de l’agriculture et je suis malade d’une passion. J’ai utilisé un produit, l’arsenic, interdit depuis 1973 en France mais par dérogation autorisé dans l’agriculture parce qu’on avait aucun produit pour le remplacer. Il a été définitivement supprimé en 2001 et il n’y a toujours pas de solution pour le remplacer. Je suis malade depuis 20 ans et je coûte 200 000€ par an à la MSA. Et qu’on ne me dise pas que je ne me suis pas protégé. On se protégeait avec ce qu’il y avait à l’époque et ce n’est pas mieux aujourd’hui » témoigne-t-il sans dissimuler sa colère.

« Aujourd’hui, en santé environnementale, ce n’est pas la dose qui fait le poison. L’acétamitride est un perturbateur endocrinien dont la particularité est d’agir à des doses infinitésimales. Ce qui compte c’est la vulnérabilité de la personne exposée. C’est pourquoi il y a des substances que l’on ne peut qu’interdire » observe Jean-Louis Roumégas qui ajoute également « l’effet cocktail avec d’autres substances préoccupantes ». S’appuyant sur son expérience professionnelle au sein de l’ICM, le député pointe par ailleurs : « Le nombre de cancer a été multiplié par deux depuis 30 ans alors qu’on a considérablement amélioré son soin. Je ne dis pas que c’est que l’agriculture, il y a une exposition globale – l’exposum – qui fait que en 30 ans on constate deux fois plus de cancer, deux fois plus d’autisme, deux fois plus de maladies neurologiques… Notre problématique n’est pas d’emmerder les gens mais de diminuer globalement les expositions sinon on n’arrivera pas à gérer la santé publique ».

Un combat commun

S’il semble difficile que les deux lignes s’entendent sur la question de l’acétamipride, Jean-Louis Roumégas loue cependant un combat commun. 

« On veut sortir de cette opposition qui nous paraît totalement stérile entre d’un côté les agriculteurs et de l’autre les écologistes. Ce n’est d’abord pas vrai. Les écologistes sont sûrement parmi les meilleurs défenseurs des revenus des paysans et des agriculteurs. Dire le contraire c’est faire le jeu des lobbies de l’agro-industrie et des pesticides de synthèse. Nous combattons tous les accords de libre-échange et nous voulons imposer aux produits importés, y compris au sein de l’union européenne, les mêmes normes qu’aux produits français. Nous défendons des prix planchers face à la grande distribution qui achète parfois en dessous de coûts de production. L’agriculture et les produits alimentaires ne sont pas une marchandise comme les autres, il faut un certain protectionnisme. C’est une erreur de cible que de s’attaquer à nous »

défend le député face aux trois représentants de la CR34.

Jean-Louis Roumégas ne veut pas opposer écologistes et agriculteurs. (©CN / Métropolitain)

À la question du libre-échange, Christophe Sabatier interroge : « Qui va aller contrôler et faire les analyses ? Vous parlez souvent du Mercosur (Marché commun du Sud) mais le problème vient de nos voisins au niveau de l’Europe. En France, nous avons 17 organismes qui nous contrôlent et pas un seul n’est à la frontière ». Venue épauler Jean-Louis Roumégas, Coralie Mantion pointe de son côté la PAC (Politique Agricole Commune) : 

C’est 40% du budget européen et la manière dont elle est distribuée actuellement ne nous convient pas. C’est un levier pour jouer sur le revenu des agriculteurs car elle est distribuée par rapport au nombre de mètre carré de la surface. Nous proposons qu’elle soit distribuées par rapport aux salariés et au type d’agriculture en aidant évidemment les agriculteurs qui opèrent une transition vers le bio

Une spécification qui agace Laurent Crouzet. « Pourquoi que le bio ? C’est quoi le bio pour vous ? Les insecticides employés en agriculture biologique ne sont pas sélectif et sont les plus destructeurs et dangereux pour la santé humaine et pour les systèmes de pollinisation. Il ne faut pas dire que le bio est anodin ». Jean-Louis Roumégas tempère : « Personne n’a dit zéro pesticide, même des pesticides de synthèse, et personne n’a dit que nous voulions 100% d’agriculture biologique. On parle des substances classées par la science comme l’acétamipride que l’Europe a prévu d’interdire complètement en 2033 ». Arnaud Poitrine prend la balle au bond : « Vont-ils l’interdire des produits vétérinaires et des produits ménagers ? ».
Et si l’ancienne vice-présidente à l’urbanisme de la métropole de Montpellier défend la préservation des terres agricoles, Christophe Sabatier interroge à nouveau : « Qui allez-vous installer sur ces terres quand un agriculteur se suicide tous les deux jours et une exploitation disparaît tous les quatre jours ? Tant que nous n’avons pas de revenu, l’agriculture va disparaître. La PAC n’est pas une solution, nous voulons vivre du fruit de notre travail. Des prix, pas des primes. C’est le discours de la CR depuis sa création ». En ajoutant également « une des règlementations les plus drastiques d’Europe » qui fait dire à Laurent Crouzet que « même avec ce que l’on nous reproche, on est quand même au dessus du panier ».

« Il y a des solutions à trouver ensemble avec le bon sens paysan et le bon sens écologique »

À l’instar des syndicats traditionnels, les organisations d’agriculteurs dont les principales sont la Coordination Rurale, la Confédération Paysanne et la FNSEA sont régulièrement accusées de faire le jeu d’un parti ou d’un autre et notamment le Rassemblement national. « Il faut arrêter avec cette politisation car cela devient ridicule. On essaye de faire passer du bon sens » tempête Laurent Crouzet. « C’est le piège de rentrer dans la guéguerre, il vaut mieux dialoguer et trouver des solutions parce que ce qu’ils expriment est légitime » veut relativiser Jean-Louis Roumégas qui avec ce débat voulait sortir des caricatures et qui y est parvenu. « On m’a dit qu’il fallait porter plainte et ne pas discuter avec les fachos. Ce n’est pas le cas de la CR et je n’accepte pas cette image. Je sais qu’il y a des gens chez eux qui votent partout. Ils ont des méthodes un peu expéditive mais je fais la part des choses et je ne me sens pas menacé. Le dialogue est important » plaide le député.

Un dialogue que justement Christophe Sabatier souhaiterait que l’écologiste mène avec d’autres quitte à transcender les partis politiques. « Il y a plusieurs mois je vous avais demandé de travailler sur l’interdiction d’importer certains produits. D’autres partis vous suivrez là-dessus. Je pense que vous pourriez trouver une majorité, il faut juste travailler » souffle le viticulteur. « Je ne sais pas à qui vous pensez… » ironise malicieusement Jean-Louis Roumégas. Ce dernier avance par ailleurs comme propositions la reprise des dettes agricoles par la Caisse des Dépôts, une révision de l’assurance agricole, des aides à l’installation… « Il y a derrière cette opposition, une opposition ville / campagne, métropole / monde rurale. Il faut en sortir. Les métropoles doivent développer une solidarité avec le monde rurale qui les entoure en arrêtant de manger les terres agricoles par l’urbanisation et les remettre à disposition de paysans et il faut développer une consommation locale par la commande publique » esquisse celui qui ambitionne de conduire la liste des écologistes aux élections municipales à Montpellier. « Les agriculteurs et les écologistes ne doivent pas être des ennemis. Cela ne rend service qu’aux lobbies des pesticides et l’agro-industrie » lance le député. Ce à quoi Arnaud Poitrine ne s’oppose nullement en nuançant : « Il y a trop d’écologies punitives. Il y a des solutions à trouver ensemble avec le bon sens paysan et le bon sens écologique ».

Quant à la loi Duplomb, si Jean-Louis Roumégas juge que « elle attaque la science en mettant l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, qui après des années à construire une crédibilité et une indépendance scientifique, veut la mettre sous la tutelle du ministère de l’Agriculture donc il n’y aura plus la vérité scientifique si cela dérange », Christophe Sabatier estime que « ce n’est pas elle qui va sauver l’agriculture française ». Laurent Crouzet complétant : « Il n’y a pas que la partie phyto dont on parle beaucoup parce que c’est ce qui inquiète le plus. À l’heure actuelle, elle répond dans l’urgence à des demandes des agriculteurs comme l’accès à l’eau ». Un point sur lequel, entre retenues d’eau et mégabassines, qui promet d’autres discussions entre écologistes et agriculteurs.